Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Cédric Cham

Jigal

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11 novembre 2018

Ce roman noir pourrait se résumer à une longue course-poursuite de 275 pages. Vrinks poursuit les bourreaux de sa fille, Alice Krieg poursuit Vrinks. Amia est au milieu qui tente, elle, de recommencer sa vie. Et s'arrêter là serait réducteur, car Cédric Cham en plus de construire une histoire rapide, violente, forte, y place des personnages qui n'ont plus rien à perdre, qui iront jusqu'au bout tout en se posant pas mal de questions sur les actions passées, sur l’impact d'icelles sur leur vie et celles de ceux qui les entourent ou plus exactement qui les on entourés, car ils sont seuls. C'est un polar punk. No future ! Le rythme pourrait être largement accompagné des décibels de groupes punks, alors que, contre toute attente de ma part, la play-list de l'auteur, en fin d'ouvrage, est assez loin de ce genre musical, plutôt électro et folk.

Il est difficile de décrocher de ce roman, construit en courts chapitres avec les différents protagonistes qui se croiseront et/ou se fréquenteront. Hors cette course effrénée, c'est aussi une histoire d'amour pas commune, mal embarquée, qui pourrait pourtant bien finir en happy end. C'est cela qui est bien aussi avec Cédric Cham, c'est que l'on ne sait jamais comment va finir son histoire - sauf à la fin -, on oscille toujours entre le pessimisme qui conseille de ne pas y croire tant tous les intervenants sont cabossés, et l'optimisme qui, lui, fait pencher la balance vers un dénouement heureux après tant de heurts et malheurs.

J'ai beaucoup aimé ce récit haletant, ultra rythmé, qui n'oublie pas les personnages au profit de l'action comme c'est parfois le cas dans le genre polar rythmé. C'est noir, très noir, presque outrenoir - de Pierre Soulages -, ce noir sur lequel la lumière varie, cette petite lumière pas totalement absente du roman de Cédric Cham.

Luc Fivet

Le Ver A Soie

18,00
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11 novembre 2018

Étrange, c'est le mot. Ou aurais-je pu écrire : déconcertant, inattendu, insolite, abracadabrantesque, étonnant, saugrenu, extravagant, inhabituel, curieux. Sans doute, j'aurais pu ajouter : ubuesque, surréaliste. Parti d'une situation certes pas courante mais assez simple, le romancier construit un roman très original dans lequel la tension monte, le lecteur se demandant bien comment cet homme s'en sortira - ou pas. J'avais noté quelques passages à citer, mais je crains que les dévoiler ici n'en dise trop sur ce roman qu'il faut absolument découvrir. Luc Fivet parle de la société de consommation, de l'aliénation des foules par la consommation à outrance en leur faisant croire que posséder est l'ultime besoin du bonheur : acheter le dernier écran plat, la belle auto, le téléphone et l'ordinateur portables derniers cris... Ainsi les plus pauvres s'appauvrissent et les plus riches s'enrichissent. "On nous fait croire que le bonheur c'est d'avoir de l'avoir plein nos placards" disait Alain Souchon, tandis que quelques années auparavant Louis Chédid chantait "Le cha cha de l'insécurité", car Luc Fivet centre aussi son roman sur la peur de l'autre, la peur de se faire cambrioler tous ces biens matériels achetés pour être heureux.

Dernièrement, j'ai encore envoyé paître un énième démarcheur pour une société de protection/surveillance des maisons qui ne comprenait pas que je ne veuille pas adhérer à son formidable contrat. "Rien de ce qui est dans ma maison n'a de valeur" lui dis-je. Il a fini par me dire : "Vous ne voulez pas parce que vous ne connaissez personne qui s'est fait cambrioler ? Mais lorsque vos voisins le seront, vous changerez d'avis." Si l'on n'a pas envie de consommer à outrance, de dire oui à tous les gogos qui se présentent, à sur-sécuriser sa maison, on est vu comme le dernier des crétins qui ne vit pas dans la réalité. Tant mieux, crétin je resterai ; de toutes façons, je reste persuadé que si je me fais cambrioler, les visiteurs n'emporteront pas ma bibliothèque. Alors, le principal est déjà sauvé.

Pour revenir à notre sujet du jour, l'excellent roman de Luc Fivet, je le conseille à tous ceux qui veulent sortir des lectures habituelles, à ceux qui veulent se poser des questions sur la société actuelle, sur la manière dont on y traite les gens. La chute peut survenir à n'importe quel moment, rapidement, et si personne n'est là dans l'entourage elle peut être rude. Joliment fait, joliment écrit, pas totalement noir, des lueurs d'espoir émaillent le texte. Vraiment une très belle découverte et un beau travail de l'auteur et de l'éditeur.

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11 novembre 2018

Plus qu'une bande dessinée, c'est un livre de dessins que j'ai dans mes mains. De grands dessins qui prennent toute la page, avec une phrase - ou deux - dessous et parfois aucune. Les dessins, à la Sempé, pour citer un nom de référence ou peut-être un hommage (?), mettent en scène des petits hommes dans un grand monde, des animaux.

Il n'y a pas forcément de message à chercher, juste se laisser aller à la poésie, à l'humour, à l'absurde parfois des situations.

J'aime beaucoup les dessins aux couleurs tendres. Souvent la nature est présente, belle, aride, ou verte, et la phrase du dessous viens donner la pointe d'humour, de décalage.

À laisser entre toutes les mains

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11 novembre 2018

Cette petite douceur meurtrière commence comme un bonbon bien sucré, mais bientôt, le cœur que l'on croit sucré devient amer, épicé voire indigeste. Si le bonbon l'est, ce n'est pas le cas de ce roman policier qui m'a réjoui de bout en bout. Ça débute dans un joyeux bordel délirant : sitôt qu'un événement bizarre est décrit, un autre ubuesque le suit de près. C'est très drôle, décalé, on est entre Frédéric Dard et Arto Paasilinna. Puis, la farce, je le disais plus haut vire au tragique et au glauque, alors qu'on ne s'y attend pas forcément. C'est surprenant et excellent. La succession des événements apparemment sans lien ne s'arrête jamais et le lecteur de s'interroger sur le lien entre eux, sur leur(s) auteur(s). J'avoue humblement m'être bien fait balader par Nadine Monfils, jusqu'au bout. Avec bonheur, car en plus de surprendre par son intrigue, par ses nombreux personnages tous aussi loufoques et/ou barrés les uns que les autres, elle sait tenir son lectorat avec une écriture débridée, vive et une construction en courts chapitres qui donne du rythme et qui permet de ne pas se perdre entre tous les intervenants puisqu'ils reviennent régulièrement et rapidement.

Deux cents pages qui passent à une vitesse folle, pfff un après-midi pluvieux et le tour est joué, pour un peu on n'a même pas vu qu'il faisait gris.

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11 novembre 2018

En 1993, Roland Castro, architecte, est invité à la prestigieuse Université de Princeton pour donner une conférence sur Le Corbusier. Évoquant le grand artiste qu'il était, le conférencier prend alors un biais assez peu usité à savoir que la vision de Le Corbusier, tirée de sa théorie : "habiter, travailler, se divertir et circuler", a donné naissance à tous les grands ensembles des cités françaises devenus totalement invivables, car niant l'individu au profit du groupe et de l'uniformisation. Le succès ne fut pas forcément au rendez-vous, car critiquer l'œuvre de Le Corbusier est assez rare.

Ce livre regroupe cette conférence précédée de remarques sur le thème et de l'explication de la mise en parallèle de l'architecture avec la psychanalyse. Là où Le Corbusier pense globalité, rationalisation et habitat pour tous, ce qui sera un progrès indéniable pour beaucoup de personnes quittant des logements insalubres, Lacan et Freud pensent individus. Et Roland Castro de repenser l'architecture pour l'individu.

Je résume naturellement, peut-être même assez caricaturalement, le mieux est de se faire sa propre opinion en lisant ce court essai impertinent. Personnellement, comme beaucoup, j'ai trouvé, en visitant la Cité Radieuse de Rezé (près de Nantes) que les appartements étaient clairs, grands et accueillants. Puis, au hasard de mes lectures, de reportages vus ou entendus, j'ai appris que Le Corbusier avait eu plusieurs projets, heureusement non menés à terme, comme par exemple le Plan Voisin, qui consistait à raser une partie de Paris pour y ériger des tours identiques, y dessiner des routes droites, parfaitement perpendiculaires. Et ma perception du génial architecte en a pris un coup. S'il a fait de belles réalisations, sa théorie que Roland Castro rapproche des théories totalitaires, m'a refroidi.

L'essai est très intéressant, j'aime beaucoup le parallèle entre l'architecture et la psychanalyse, qui oblige les professionnels à repenser leur manière de construire, d'envisager la ville et qui nous permet nous aussi, habitants, citadins de regarder la ville différemment. Roland Castro tente de redonner de la vie à l'architecture, aux villes, en prônant des bâtiments uniques, qui s'intègrent parfaitement dans leur milieu. Si je devais retenir une phrase de ce livre, ce serait sans nul doute, la suivante : "J'ai toujours rêvé que l'architecture devienne littéraire."

Nouvellement créées, les éditions du Canoë sortent ici un essai passionnant et iconoclaste. Tout pour plaire.