Troisième tome de la série avec Hadrien Velganni dont je n'ai lu que le premier, Les ombres de l'Erdre, pas mal, mais un peu attendu. Cette fois-ci Aline Duret a construit une intrigue qui tient bien la route jusqu'à l'ultime ligne. Ma seule réserve viendrait de l'intrigue secondaire, l'intoxication qui touche les gendarmes de Carquefou, qui doit être une sorte de fil rouge entre tous les tomes mais dont je me suis demandé si elle était indispensable. Mais elle ne tient qu'une toute petite partie de l'histoire et ne pèse pas sur le plaisir et l'intérêt de l'intrigue principale. Ah si une autre remarque : "La comtoise en acajou qui trônait dans la salle à manger sonna treize coups." (p.187) Treize coups ? A treize heures, ne sonnerait-elle pas un unique coup ?
Une fois révélée, l'énigme n'est pas si originale que cela, mais c'est la manière de la raconter qui l'est et surtout les enquêteurs. L'opposition entre Cassidy, écossaise exilée en Bretagne, spontanée, pimpante et Hadrien, taciturne et réservé, fonctionne très bien. Et Aline Duret ménage ses effets et le suspense, distillant là des indices, là des surprises ou rebondissements. C'est très bien fait et je ne me suis jamais ennuyé dans ce roman policier très rythmé qui emprunte son titre de la célébrissime chanson du non moins fameux groupe Tri Yann -Jean-Louis Jossic a écrit la préface du roman-, La jument de Michao
Un homme est enlevé par des hommes-bêtes et emmené auprès de leur chef qui lui laissera la vie sauve en échange d'histoires qu'il lui raconte. L'homme, Shéhérazade futuriste, d'abord refuse, mais se voit contraint d'accepter. Il raconte alors l'histoire d'un jeune homme qui part à la guerre, muni d'un talisman donné par son grand-père.
Très étrange cet album, d'abord par son format dit oblong ou à l'italienne. Puis ce sont les couleurs choisies qui étonnent : une trichromie de blanc, noir et vert, pour un rendu spécial qui renforce la noirceur et l'ambiance glauque. Ensuite, les dessins sont très libres, parfois des cases, parfois pas, parfois un visage esquissé sur une pleine page, parfois un dessin fouillé et dense sur une page itou, parfois seulement du texte, l'album étant très peu bavard. Et enfin, c'est cette histoire bizarre, très étonnante et pour tout dire parfois énigmatique : je me suis longuement arrêté sur certaines pages pour tenter de comprendre et n'y suis sans doute pas totalement parvenu. Simon Liberman dessine un homme qui sombre dans la folie, qui souffre de stress post-traumatique, dans un univers étrange et délirant.
Le tout donne un album fascinant (le dessin et les couleurs y sont pour beaucoup, ce qui est bien pour une bande dessinée), de ceux qu'on repose en se disant "mouais, bof..." et qu'on reprend à peine posé, pour tenter de comprendre ce que l'on n'a pas saisi, pour reprendre une dose de vert ou tout simplement pour le relire parce qu'on ne sait pas bien pourquoi, mais on n'a pas envie de le quitter.
Bref, un album qui ne laisse pas indifférent, qui prouve s'il était besoin l'éclectisme de la bande dessinée et qui me font découvrir une maison d'édition : 2024 et qui se pare d'une belle couverture avec l'homme au fusil en relief et brillant.
1979, Cyrus Farzadi, 25 ans, se retrouve, par les circonstances, gardien du musée d'arts de Téhéran, musée construit très peu de temps auparavant, volonté de Farah Pahlavi, femme du Shah. Issu des bas quartiers de la ville, rien ne le prédestinait à entrer un jour dans un musée.
En ce mois de mars 1979, la révolution islamique menée par l'ayatollah Khomeini n'est plus qu'une question d'heures. Cyrus s'attend au pire face à l'ignorance et à la morale des mollahs. Il ferait tout pour que les toiles de grands maîtres ne soient pas détruites, mais pourra-t-il les sauvegarder de la destruction ?
Le roman débute par ce mois de mars 1979, puis revient en arrière pour nous faire assister à la construction du musée, puis à l'embauche de Cyrus, en 1977 comme chauffeur chargé du transport des œuvres achetées partout dans le monde, à des prix exorbitants. Le règne du pétrodollar.
J'ai eu peur un moment que l'autrice ne laisse de côté la pauvreté du pays, la censure et la répression contre les opposants au profit de la description des œuvres et de l'occidentalisation de la société iranienne. Mais que nenni, très vite, elle s’attelle à montrer l'énorme différence entre les très riches et les très pauvres. Le faste de l'empereur, pour son couronnement, pour fêter les 2500 ans de l'empire perse, les fêtes où le champagne importé de France coule à flots... pendant que les pauvres ne parviennent pas à se nourrir, vivent dans des taudis et que les opposants sont emprisonnés, torturés par la Savak, la police politique du pouvoir : "Cyrus pense à cette blague qui circule dans toutes les familles : dès lors qu'au moins trois Iraniens sont réunis, l'un d'eux fait forcément partie de la Savak." (p.33)
Bref, tout cela est dit, parfois trop, un peu comme si Stéphanie Perez voulait à chaque fois qu'elle parle du musée érigé à coups de millions de dollars, évoquer la pauvreté pour s'excuser. Ce n'est pas toujours habile si subtil, cela rajoute des pages, certes, mais superflues.
Nonobstant ces remarques, le roman a des qualités comme cette montée de l'islamisme dans le peuple fatigué du régime du Shah et l'aveuglement du Shah et de sa cour : "Mais l'Iran danse sur un volcan. La terre gronde, de plus en plus fort, la secousse menace, l'éruption n'est qu'une question de jours, les flots de colère vont se répandre inexorablement, un magma révolutionnaire et fumant qui menace de recouvrir le pays." (p.108). Les hommes jusqu'alors assez ouverts se referment, obligent leurs femmes à porter le voile, se réunissent à la mosquée. On sent au fil des pages que le mouvement prend de l'ampleur et qu'il sera difficile d'échapper à un changement radical.
Malgré mes réserves, ce roman fluide se lit aisément et il permet d'apprendre sur l'Iran, sur les raisons de la révolution de 1979 qui amènent un régime sans doute pire encore que celui du Shah et sur un homme né dans les quartiers pauvres qui va consacrer sa vie à protéger des œuvres d'art inestimables. Ce roman s'inspire d'une histoire vraie.
Après quelques romans noirs dont deux très connus que je n'ai pas lus Romanzo criminale et Suburra, puis un autre chroniqué sur le blog Alba nera, très sombres, Giancarlo de Cataldo livre ici un roman policier plus léger et même parfois assez drôle. Manrico est un substitut atypique qui ne jure que par l'opéra et fait des liens permanents entre l'enquête et les divers œuvres (je rassure les béotiens comme moi, il les met à notre portée). C'est un espèce de dandy, aristocrate désargenté, qui ne se met pas à dos les suspects, il les ménage pour les mettre en confiance et parvenir à leur soutirer des informations. Ce son les trois policières dont la nouvelle Deborah Cianchetti qui foncent et piaffent d'impatience.
Tout cela rend ce polar original. Giancarlo, par ailleurs magistrat à la cour de Rome, outre les opéras dont il parle fréquemment, écrit sur le système judiciaire italien, sur son délitement, la fatigue qui s'empare de ceux censés la rendre et sur le très enviable monde de la télévision. Et tout cela, malgré pas mal de choses abordées et dites, en peu de pages, car l'un des grands talents de l'auteur est d'aller au plus court, hormis les quelques écarts lyriques. Et puis, cette fois-ci, il ajoute pas mal d'humour, dans son personnages principal, dans le duo explosif avec Deborah, dans la relation avec sa mère ludopathe, avec Camillo le maître d'hôtel. Cette fois-ci Giancarlo de Cataldo a décidé de s'amuser avec nous, pour notre plus grand plaisir.
Tons pops et acidulés pour cette bande dessinée qui traite de sujets sérieux et durs. On pourrait se dire que ces couleurs vives devraient être réservées à des albums plus légers, mais personnellement j'aime bien être surpris et là où, bien nourri de tous mes codes et a priori, je pensais tomber sur un livre mièvre voire gnangnan -j'avoue je ne lis pas les quatrièmes de couverture, ou très peu-, me voici avec du lourd. Car Almudena Pano traite la question de la schizophrénie pour un garçon que Gloria rencontre et de deux cas d'inceste. Son récit est à la fois lourd et dur, mais je le trouve très précis, très détaillé -pas sordide-, notamment dans la difficulté à déceler l'inceste, puisque l'incesteur se cache, se tait et menace l'enfant, dans la culpabilité de l'adulte qui ne l'a pas vu, dans les signes qu'un enfant peut montrer... Il est également très instructif et pédagogique. Bâti sur Gloria et son travail, les enfants abusés sont le centre de l'album. Encore une fois, précis et détaillé, il montre le travail fait avec eux pour dire l'abus, pour apprendre à vivre avec. Et il met en exergue le formidable travail des assistants sociaux, éducateurs, psychologues et tous les professionnels qui écoutent, aident l'enfant et son entourage, souvent mal rémunéré, pas vraiment socialement considéré. Le travail social traverse en ce moment une grave crise : beaucoup de départs et peu d'arrivées, et le nombre de victimes ne baisse pas. Qui peut croire qu'un travailleur social qui a entendu, écouté, vu des enfants violentés, abusés, abîmés pendant quarante années tiendra jusqu'à 64 ans ?