L'homme à la carabine

Patrick Pécherot

Gallimard

  • Conseillé par
    27 juin 2012

    "Ceci est mon testament.
    Moi, Soudy, condamné à mort par les représentants de la vindicte sociale dénommée justice..."
    André Soudy, 21 ans, sera guillotiné le 21 avril 1913. Sur la planche à bascule, le cou dans la lunette, ses derniers mots seront : "Il fait froid, au revoir."
    Dans son testament, il va léguer ses pinces-monseigneur au ministre de la Guerre, ses hémisphères cérébraux à la faculté de médecine, son crâne en exhibition au profit des soupes communistes et son autographe à l'anarchie.
    André Soudy ? Ce nom ne vous dit rien ?
    Rien de plus normal après tout.
    André soudy, c'est juste un petit, tout petit second rôle dans la Bande à Bonnot.
    Presqu'un figurant.
    C'est le plus jeune, le tuberculeux. Pas même un second couteau.
    Il n'a jamais tué personne !
    C'est l'enfance piétinée, mal élevée, comme une mauvaise herbe qui pousse entre les pavés des banlieues de Paris, un voleur de boîtes de sardines.
    Condamné à 20 ans pour vol de bicyclette, c'est le "J'suis un pas de chance" qui écope tout le temps...à raison et très souvent à tort !


    C'est le sentimental aux yeux doux qui tombe aussitôt amoureux de la première chanteuse de rue qu'il croise.
    C'est "l'homme à la carabine" qui pose, forcément, devant le photographe des services de la Préfecture de Police comme sur la couverture en noir et blanc du livre de Patrick Pécherot.
    Les livres de Pécherot sentent-chantent fort Arsène Lupin, les Brigades du Tigre, Nestor Burma, les tranchées du chemin des Dames ("Tranchecaille" polar primé en 2008), les années folles ("Les brouillards de la Butte" polar également récompensé en 2002),
    le Paris occupé et collabo ("Boulevard des Branques"), la guerre d'Espagne ("Belleville-Barcelone").
    Cette époque là, qui couvre une quarantaine d'années, de 1910 à 1950, Pécherot nous y transporte littéralement comme par enchantement, avec enchantement !
    Ici, dans son dernier livre "L'homme à la carabine" paru en janvier 2011, le voyage dans le temps fonctionne à merveille. Le lecteur est aspiré-inspiré dans le Paris des anarchistes illégalistes. Les "en-dehors", les "hors des lois". Les jusqu'au boutistes.
    Dans le pavillon fleuri de Romainville, la "crème" et la mauvaise graine des libertaires en tout genre est en transit, sur terre...pas au ciel. Ici, René Valet le poète, Raymond Caillemin dit Raymond la science, Victor Serge (l'auteur des célèbres "Mémoires d'un révolutionnaire") et sa compagne Rirette, Jules Bonnot et...le tendre camarade André Soudy. Ici, ça jardine, ça cuisine, ça écrit, ça discute, ça trafique la fausse monnaie, ça refait le monde, ça fuit la police,ça fomente pour que "crève le vieux monde".
    Tous ont à peine vingt ans.
    "Ils ont tout ramassé des beignes et des pavés
    Ils ont gueulé si fort qu'ils peuvent gueuler encore
    Ils ont le cœur devant et leurs rêves au mitan
    Et puis l'âme toute rongée par des foutues idées" chante Léo Ferré.
    Leurs devises...et encore quand ils en ont une ?
    "Nous ne voulons être ni exploiteurs, ni exploités !", "La propriété, c'est le vol !" (là c'est du Proudhon) ou bien "Reprenons ce que la société nous vole !"
    Ca passe et ça casse. Souvent ça casse !
    Tous se savent voués à la guillotine. Beaucoup finiront au bagne. Perpét'.
    D'autres réussiront à s'évader comme Barbe, une fille "pieds nickelés" de la bande.
    "Pour sa comparution devant le juge, ils l'ont confiée à un vieux sergent de ville, rhumatisant et à moitié sourd. Tout juste assez vivant
    pour garder une idiote. Barbe n'était pas assise depuis cinq minutes sur le banc du couloir qu'elle se lève d'un bond, retrousse ses jupes et prend ses jambes à son coup. Le flic n'a rien pu faire que se tenir les reins, son sifflet à la bouche? Avant qu'il souffle dedans, Barbe avait filé."
    Il faudra 500 hommes armés pour venir à bout de Bonnot.
    Le "tout Paris" se précipite pour assister au spectacle de l'assaut final.
    "On déboule de Paris. Taxi pour les beaux messieurs et les élégantes, décolletés pigeonnants, froufrous et crinollines, blazers sportsman, poils de chameau. A Vincennes, les tacots vendent la balade deux francs cinquante. Du champ de courses au champ d'honneur. On embarque le whippet et le chihuahua. On accourt, en bande, en trombe, aux premières loges."
    Victor Serge sera condamné à 5 ans de prison avant de rejoindre la Russie en révolution et cotoyer Lénine et Trosky. Il sera le premier à désapprouver les abus de la dictature du prolétariat.
    Pécherot, par un savant collage littéraire d'extraits de lettres,
    d'articles de journaux, de rapports de Police, de dialogues romancés, de photos nous prend en mains et nous promène dans ce Paris d' Eugène Sue, ce Paris de Léo Malet.
    Avec courts chapitres et nombreux falsh-back, Pécherot esquisse, crayonne le portrait d'un enfant perdu dans la tourmente des idées révolutionnaires...perdu d'avance.
    "Je suis comme un papier tue-mouches où le malheur viendrait se coller." écrit Soudy.
    Avec générosité, poésie, l'auteur, né en 1953 à Courbevoie (comme Arletty !) journaliste et scénariste de BD sait émouvoir son lecteur avec des décors et le langage de l'époque bien plantés, bien parlés.
    "Je suis de ceux qui goûtent fort les bandits, non que j'aime à les rencontrer sur mon chemin; mais malgré moi, l'énergie de ces hommes en lutte contre la société tout entière m'arrache une admiration dont j'ai honte." (Prosper Mérimée)
    Longtemps, longtemps, après que vous ayez fermé ce livre, vous chanterez encore l'histoire des bandits tragiques...fils de Mandrin !
    "Compagnons de misère
    Allez dire à ma mère
    Qu'elle ne m'reverra plus
    J' suis un enfant, vous m'entendez,
    Qu'elle ne m'reverra plus
    J'suis un enfant perdu."
    C'est la complainte de Soudy...


  • Conseillé par
    2 janvier 2012

    Un perdant magnifique

    L'homme à la carabine n'est pas celui que l'on croit. André Soudy est "l'homme aux semelles de guigne" et aux poches percées. "Il est Bécamelle, l'innocent du monde", au coeur d'artichaut. Un gamin traîne misère dans le Paris d'un siècle finissant, le corps perclus de douleur à force de dormir sur des sacs à patate, le ventre vide et la révolte en bandoulière. Longtemps son seul fait de gloire fut d'être "estampillé par la faculté" : "André Soudy, bacillaire". Il est ce tuberculeux dont la vie bientôt ne tient plus qu'à un souffle. Cette vie il veut la brûler par les deux bouts, mais le bonheur toujours se refuse à lui.

    Sa route croise celle de Jules Bonnot et de sa bande dont il devient membre et cette rencontre va sceller son destin. Prison de la Santé, 1913. Les survivants de la bande à Bonnot attendent leur jugement. Certains partiront pour le bagne, d'autres auront la tête tranchée…"je ne suis pas né homme à la carabine, moi. Le déterminisme vous lui avez filé un sacré coup de pouce" (p. 140), dira André Soudy.

    Par petites touches, Patrick Pécherot brosse l'esquisse d'un perdant magnifique dans le Paris de la fin du XIXè siècle, le Paris des inégalités sociales et des bidonvilles, des enfants transis aux yeux cernés, des bicoques sombres et sans chaleur. Les ombres de Colette, Georges Brassens, Boris Vian ou encore Léo Ferret vacillent parfois. À travers ce roman-colage, Patrick Pecherot nous balade. La construction, assez atypique, est parfois difficile à suivre (retours en arrière, arrêts sur image, relation des faits par André Soudy et narration parallèle) mais le portrait qu'il nous tend est saisissant et l'ambiance de l'époque fort bien reconstituée. On se prend de sympathie pour cet homme traqué qui finira par rendre les armes "de guerre lasse". "On m'a dit l'homme à la carabine. C'est drôle à quoi on résume l'individu. L'homme à la carabine. Peut-être, dans un sens et à ce moment là. Mais si on veut aller plus loin, je serais tout autant l'homme aux semelles de guigne. (…) Semelles de guigne, coeur d'artichaut (…). Jamais eu de pot. "Ci-gît André Soudy qui réussit à tout rater", ce serait valable en épitaphe sur ma pierre tombale" (p. 160). On referme ce livre le coeur serré.


  • Conseillé par
    20 mai 2011

    Roman foisonnant dans lequel on croise, outre tous les membres de la bande, deux Léo, Ferré et Malet, Brassens, Aragon, Arletty, Boris Vian,... Dans ce roman, sous titré Esquisse, P. Pécherot tente le portrait d'un jeune homme mal dans son époque, mal dans sa peau de pauvre de traîne-misère, qui ne rêve que d'anarchie, de copains, de copines, d'actions étincelantes, mais qui ne récolte que tuberculose, mauvais coups et coups perdants. André Soudy est un "perdant magnifique".

    La construction de ce roman est étonnante : des parties racontant les faits, d'autres les interrogatoires de Soudy, d'autres sa jeunesse, toutes mises en parallèle. Il n'est pas toujours aisé de se retrouver entre elles et entre tous les protagonistes au moins au début. Une fois bien lancé dans la lecture, ça va mieux, même si la profusion des personnages peut perturber encore jusqu'à la fin.

    L'écriture est plutôt rapide, des phrases courtes, des mots du peuple -P. Pécherot disait dans une interviouve que ce n'était pas de l'argot, mais plutôt des mots qu'il avait entendu dans sa jeunesse et qui pouvaient d'ailleurs être totalement anachroniques. Mais il y a aussi des passages plus classiques joliment écrits : "Prenez le tram à l'Opéra, passé la porte des Lilas, il vous mènera jusqu'à Romainville. Après les fortifications, vous longerez les carrières de gypse. Les cratères et le blanc crayeux comme une Voie lactée évoquent un décor de Méliès mais vous n'êtes pas sur la Lune, vous arrivez place Carnot. Descendez, à présent. Vous êtes rue de Bagnolet. Suivez-la. C'est une rue tranquille, avec ses maisonnettes et de petits immeubles. Le n°16 jouxte les établissements Renaud, meubles neufs et d'occasion. On y voit un pavillon à étages, d'assez belle allure. Poussez la grille, entrez dans le jardin. Il ressemble à ceux qu'on dit de curé mais vous n'y rencontrerez nul ecclésiastique. Quoique strictement végétariens, ceux qui vivent ici en font leur ordinaire." (p.41)

    Le livre de Pécherot est donc un mélange, "un puzzle" disait son interviouveur. Très intéressant par la période qu'il raconte, par la bande qu'il décrit, leurs croyances et leurs méfaits : "- Ils ont retrouvé la bagnole. Tout de même, on avait encore jamais vu ça. Le hold-up en auto, c'est de l'inédit. Je sais même pas si en Amérique ils y ont pensé. Pourtant, ils en ont des gangsters en Amérique. Et des autos aussi. Eh bien, le premier hold-up à moteur, il a eu lieu chez nous. A Paris. Rue Ordener. C'est historique..." (p.82)

    Cependant, je suis partagé et franchement j'ai du mal à dire vraiment ce que je pense de ce livre : j'ai bien aimé, notamment l'écriture de P. Pécherot, mais me reste une réticence que je ne réussis pas à bien définir. Peut-être la construction volontairement labyrinthique (Cathe dixit !). L'autre hypothèse serait que l'auteur nous amène à éprouver une certaine sympathie pour ces hommes, ces anarchistes que rien n'arrêtait. Mais malgré tout, ils furent quand même des malfrats aux mains pleines de sang - sauf Soudy qui bien qu'on l'appelât L'homme à la carabine, n'a jamais tiré sur personne. Le malaise ou ma part d'incompréhension ou ma réticence, appelez-ça comme vous voulez, vient sans doute de cette situation.