Le sang et la mer

Gary Victor

Vents d'ailleurs

  • Conseillé par
    28 mars 2011

    Souvent, dans nos billets, nous parlons de livre fort, à raison, mais là, j'aimerais trouver un qualificatif autre, plus... fort. Quel livre ! Quels personnages ! Hérodiane et Estevèl forment une fratrie soudée. L'une est jolie, convoitée par les hommes, jalousée par les femmes, mais elle sait ce qu'elle veut, et surtout ce qu'elle ne veut pas. Mais quand elle rencontre son Prince Charmant aux yeux clairs, les barrières tombent. L'autre, le frère, est protecteur, attentif, fait preuve d'abnégation pour que sa soeur puisse vivre une vie de jeune fille.

    Le contexte est terrible : la vie à Paradi, bidonville de Port-au-Prince où une jolie jeune fille est soit mariée, soit plus probablement, vit de ses charmes, certaines sont prostituées par leur propre famille dans le but de trouver un mari ou de rapporter l'argent qui fait vivre tout le monde.

    Gary Victor, dans un style simple, direct et franc décrit sans détour le passage à la vie adulte des deux jeunes gens, la découverte de leur pays, de la pauvreté, de l'extrême dénuement des habitants des bidonvilles et de la vie facile des riches, qui s'enrichissent encore sur le dos des plus pauvres : Yvan, le Prince Charmant d'Hérodiane, héritier d'une des plus riches familles du pays lui raconte : "Paradi, c'est le nom qu'ont donné au bidonville ses premiers habitants. Mais le terrain sur la montagne nous appartient. Essaie de comprendre. Plus de mille habitations de fortune louées à l'année en moyenne à quinze mille gourdes, cela fait quinze millions de gourdes, soit trois cent soixante-quinze mille dollars américains environ chaque année sans redevance fiscale. Nous nous arrangeons pour faire croire que nos terres sont occupées illégalement et ainsi, nous gardons la possibilité de nous faire dédommager par le gouvernement. Nous plantons de la misère, nous cultivons de la misère et nous récoltons de l'or." (p.130)

    Dès lors, comment croire à la possibilité des Haîtiens de se sortir de leur misère ? Ajoutez à ce constat, des catastrophes climatiques récurrentes, et la situation devient inextricable. Rodney Saint-Eloi, dans Haïti kenbe la ! dit que son peuple est fort, courageux et qu'il saura reconstruire son pays. C'est tout le mal qu'on lui souhaite, mais quel travail à faire !


  • Conseillé par
    28 mars 2011

    Après la mort de leur mère, Hérodiane et son frère Estevel ont dû quitter leur village pour venir à Haïti. Ils s’installent à Paradi. Un doux nom qui désigne un bidonville accroché au flanc de la montagne. Agée de 17 ans, Hérodiane est d’une beauté qui ne laisse pas indifférent. Yvan, riche mulâtre la séduit et la jeune fille tombe amoureuse. Mais, les princes charmants à la peau claire se révèlent quelquefois malhonnêtes et entrainent dans la déchéance les jeunes filles.


    "La nuit où le sang a jailli de mon ventre, j'ai rêvé de la mer marchant sur terre, telle une multitude de moutons dont la toison était l'écume blanchâtre des vagues venant battre en cadence les rochers dans la baie de Saint-Jean". A la lecture de cette première phrase, j’ai su que j’allais aimer ce livre! Cette première phrase donne le ton, la mesure. Car voilà une lecture comme je les affectionne, à l’écriture travaillée où rien n’est laissé au hasard. Un livre porteur de messages et qui amène le lecteur loin, très loin. Une lecture où la poésie s’invite naturellement comme pour mieux montrer la noirceur de la vie. Ici, Gary Victor nous dépeint les quartiers pauvres d’Haïti, la survie et la débrouille. La face sombre d'un pays, celle de pauvreté, de la prostitution et de la corruption. Estevel est le grand frère protecteur, prêt à tous les sacrifices pour sa sœur. Comme il l' a promis à leur mère, Hérodiane fréquente une bonne école. On peut se demander comment une jeune fille sérieuse et réfléchie peut tomber aussi facilement dans les bras d’Yvan? Tous les deux sont jeunes et beaux, ils s'aiment mais la peau d’Hérodiane est d’ébène et elle est sans le sou. Même si Yvan possède tous les apparats d’un prince charmant moderne, l’envers du décor est écœurant. Et la fin n'est pas celle d'un conte de fées : Ils ne se marièrent pas et n’eurent pas beaucoup d’enfant.

    L’écriture de Gary Victor est belle, fluide et enveloppante. Sans oublier cette touche de poésie qui se marie au surnaturel sans que cela soit choquant. Bien au contraire, le lien à la mer apparaît comme un cordon ombilical et salvateur.
    Une découverte que je ne suis pas prête d’oublier !