Très beau texte, sensible qui propose le portrait d'un jeune homme de 19 ans timide, secret, objet de raillerie de la part de ses camarades de train. Tchinguiz Aïtmatov pose la question "des relations entre l'homme et le monde, et ses héros sont les porteurs d'un destin universel" (4ème de couverture). Serge part pour le front avec une recommandation de sa mère :"Seriojenka, surtout ne tue personne, ne verse pas le sang !" (p.65)
Ensuite, Serge pose sur sa mère un regard nouveau, la voit comme elle est réellement en tant que femme :
Pourquoi avait-elle dit cela ? Etait-ce dit par hasard ou mûrement médité ? Et il se souviendrait toute sa vie comment elle avait prononcé ces paroles, regardant son visage comme si elle venait juste de rentrer de quelque part au loin et de franchir le seuil de la maison pour lui dire ce qu'elle avait tout le temps pensé en chemin." (p.65)
Récit très poétique qui met en avant la valeur et la qualité de la vie. Qui pose la question sur l'intérêt et le bénéfice des guerres, pas de manière naïve mais humainement parlant : qui est réellement le vainqueur ? Celui qui a tué le plus ? L'auteur ne se pose pas en moralisateur, mais pose simplement les questions, la question essentielle : "Tuer, ne pas tuer ?"
Un très beau texte à découvrir.
C'est l'histoire d'un homme qui essaie de sortir de l'impasse, qui tente de sauver sa galerie, qui en même temps cherche sans arrêt des femmes dont il ne peut se passer. Pas une grande histoire d'aventures, ni un polar, mais les aventures d'un homme lambda. Ce qui compte, dans ce livre, qui, entre parenthèses, a reçu le Prix Goncourt 1999, c'est le style, l'écriture de Jean Echenoz.
Il nous trimballe du début à la fin, il nous impose force détails n'ayant aucune importance pour le déroulement de l'histoire, tous aussi inutiles qu'indispensables pour la qualité et le ton du livre. Par exemple, lorsque Ferrer fait une attaque cardiaque, les pompiers sont appelés :" Les pompiers sont des beaux jeunes hommes calmes, rassurants et musclés, ils sont équipés de tenues bleu marine, d'accessoires en cuir et de mousquetons à leur ceinture. C'est en douceur qu'ils installèrent Ferrer sur une civière, c'est avec précision que la civière s'introduisit dans leur camion." (p.161/162) Le texte est constellé de ces détails qui lui donnent un côté détaché et ironique.
Le livre est écrit à la troisième personne du singulier, Ferrer étant le personnage principal. Parfois, on voit le monde selon Ferrer, mais l'auteur utilise aussi beaucoup le "on", qui s'il déstabilise un peu au départ augmente encore ce que j'appelais plus haut le détachement et l'ironie : on ne sait jamais vraiment si Jean Echenoz a de la sympathie voire de l'empathie pour Ferrer ou s'il se moque de lui. Pour ma part, la moquerie me semble plus présente, c'est du moins de cette manière que j'ai lu ce roman.
Parfois aussi, Jean Echenoz nous prend à témoin, nous lecteurs, par exemple, lorsqu'une jeune femme rejoint Ferrer dans des toilettes "et se mit à vouloir le griffer et le mordre puis, abandonnant toute retenue, le dégrafer tout en s'agenouillant en vue de va savoir quoi, ne fais pas l'innocent, tu sais parfaitement quoi." (p.239) Tellement d'autres écrivains auraient sauté le pas, si je puis m'exprimer ainsi, pour balancer une vulgarité ou pour décrire l'acte, car ça peut faire vendre.
Vous l'aurez compris, j'ai passé un très bon moment avec Ferrer et Jean Echenoz pour ce roman Prix Goncourt 1999 ; Jean Echenoz que j'ai découvert avec Ravel, livre dans lequel il raconte les derniers moments du compositeur, et dont je compte bien continuer de découvrir l'oeuvre.
Avant de commencer ma lecture, j'ai été prévenu par Elisabeth Daldoul, de la maison Elyzad : "c'est un texte complexe quand on ne connait pas la Tunisie de l'intérieur, il faut quelques clés pour décoder bien des choses.". Merci pour ce précieux conseil, très utile, mais malgré cela, au fil des pages, je me disais que certes, je ne comprenais pas tout, mais que l'écriture de Sophie Bessis m'entrainait là où peut-être elle n'entrainerait pas ceux qui connaissent la Tunisie. C'est le récit très intime d'une femme ancrée dans son pays de vie, "le pays aux ciels gris" qui parle de son pays d'origine auquel elle est viscéralement attachée, la Tunisie, "le petit pays aux matins clairs et aux murs blancs".
Très elliptiquement, Sophie Bessis raconte sa vie, ses combats, ses travaux, ses rencontres, ses amis en Tunisie. Le fait que ce récit soit très elliptique lui donne deux niveaux de lecture :
- ceux qui savent l'histoire du pays, ses hauts personnages et ses habitants peuvent retrouver tout ce à quoi l'auteure fait allusion sans jamais vraiment le nommer. Ils retrouveront les noms, les lieux qui leur permettront de s'ancrer dans une réalité.
- ceux qui, comme moi, ne connaissent du pays que les images touristiques et quelques notions historiques un peu lointaines se laisseront porter par l'écriture, par les images qu'elle fait naître. J'ai deviné les combats de l'auteure, ses souffrances de voir que certains dans son pays d'origine pouvaient lorgner vers des idées radicales alors que la majorité des autres habitants vivent ensemble, même si une certaine incompréhension entre les communautés juive et arabe peut exister. Néanmoins, la mixité est tangible : les mariages mixtes, les femmes qui peuvent choisir leurs maris par amour et dans une communauté différente de la leur, on est loin là des mariages arrangés. Elle dit sa difficulté de voir que certains de ses anciens camarades de lutte sont désormais des "Importants" du régime qui ne veulent plus -et ne peuvent plus- résister à la montée de l'intolérance. J'ai vu aussi le désir qu'elle a de faire parler les femmes tunisiennes et plus largement les femmes du Maghreb (elle a écrit, en collaboration avec "Sol" une femme arabe, un livre : Femmes du Maghreb, l'enjeu, en 1992 puis un autre Les Arabes, les femmes et la liberté, en 2007).
Une fois n'est pas coutume, avant de commencer cette lecture, je conseille de lire d'abord la 4ème de couverture ainsi que la liste des ouvrages écrits pas Sophie Bessis qui donnent des pistes de compréhension plus grande de ce très beau récit.
Tout petit roman dérangeant, par le thème abordé bien sûr, mais surtout par le parti pris de la romancière de faire de ce rapt une histoire d'amour. Elle pousse à fond le fameux "syndrome de Stockholm" rendant Lena amoureuse et vraiment dépendante de son ravisseur. Qui au final, pendant ces dix années a profité de l'autre ?
Certes, Victor en se rendant coupable d'un enlèvement et de l'enfermement d'une fillette devenue femme a débuté les hostilités. En l'empêchant de sortir, il en a fait "sa chose" qui, au lieu de lui en vouloir, l'adule. Mais Lena contraint Victor à une histoire d'amour physique, lui qui recherche la pureté des corps et donc l'absence de relation charnelle.
Librement inspiré de la célèbre histoire de Natascha Kampusch, le roman de Anne-Sylvie Sprenger explore les troubles de l'attachement et notre fascination pour les faits divers.
Néanmoins, après ces critiques positives, je dois dire que je crois être passé un peu au travers de cette histoire. Pas vraiment passionné par ces personnages, comme je ne l'avais d'ailleurs pas été pour Natascha Kampusch et son ravisseur. Peut-être mon indifférence au fait divers dirige-t-elle mon manque d'attrait pour ce livre ? J'aurais préféré que l'auteure noircisse un peu plus des nombreuses pages blanches présentes dans son roman, pour épaissir encore ses personnages.
Et puis, je finis par croire que je suis allergique aux fins de livres ou de films : Anne-Sylvie Sprenger finit par une espèce de pirouette inattendue, mais pas totalement imprévisible tout autant inutile à mon sens que caricaturale.
Michel est le narrateur et Alain Mabanckou adopte un style littéraire collant à un enfant de dix ans. Bel avantage pour ce qui concerne la naïveté de la compréhension du monde : les moyens de diffusion de l'époque en Afrique sont limités : papa Roger est quasiment le seul du quartier à posséder une radio. Je n'ai pas grandi au Congo, mais j'imagine assez bien que la découverte du monde se faisait par ces seuls moyens parcimonieux et que l'imaginaire des enfants s'est forgé à cette lumière. Aujourd'hui, une nouvelle est sur le Net en un temps record, l'imaginaire des enfants en pâtit-il ?
Le parti pris narratif apporte aussi une fraîcheur au récit, l'étonnement de Michel envers le comportement des adultes, ses défis et ses espoirs, son idylle avec Caroline, son amitié avec Lounès, ...
Mon bémol, parce que, bien sûr, j'en ai un vient du fait que je ne suis pas très fan des enfants-narrateurs. Souvent utilisés pour infantiliser ou pour faciliter le discours ce n'est pas toujours une réussite. Là, j'ai hésité entre amusement, frustration et agacement : le style oral de Michel, sur la durée me fatigue un peu. J'avoue avoir passé vite certains chapitres, pour accélérer ma lecture.
Ceci étant dit et malgré mes réserves, j'ai bien aimé l'ambiance, le contexte congolais et communiste dans lequel il ne faisait pas bon être traité d'impérialiste. Alain Mabanckou oublie un peu sa truculence des précédents romans -c'est d'ailleurs un peu dommage !- pour un peu plus d'émotions et de beaux personnages, des femmes notamment : maman Pauline et maman Martine, mais aussi Geneviève, une des petites amies du grand frère de Michel.
Pour finir je ne résiste pas au plaisir de citer l'auteur : "... notre président de la République [...] est à la fois président, Premier ministre, ministre de la Défense et président du Parti congolais du travail, le PCT. C'est vrai qu'on peut vite croire qu'il est trop gourmand puisqu'il occupe ces postes lui-même. Les gens racontent d'ailleurs que lorsqu'il y a une réunion du président de la République, du Premier ministre, du ministre de la défense et du président du PCT, notre président reste tout seul dans la salle pour discuter avec lui-même et il parle d'abord en tant que président de la République, puis en tant que Premier ministre, puis en tant que ministre de la défense, et enfin en tant que président du PCT. Voilà pourquoi cette réunion dure plus longtemps que lorsqu'il est avec ses ministres." (p.69). Toute ressemblance avec des personnages existant en France est sûrement fortuite.