Lorsque Servane et Séverine annoncent qu'elles vont avoir un bébé ensemble, c'est l'incompréhension autour d'elles. On est avant le mariage pour tous, avant une relative acceptation par la société des couples homoparentaux. Louis naît, puis quatre ans plus tard, des jumeaux Paul et Simon. Et les deux femmes tentent d'organiser une vie de famille, entre les biberons, les couches, l'école, les rendez-vous le travail DRH pour l'une et assistante sociale en protection de l'enfance -tiens, une collègue !- pour l'autre.
La bande dessinée de Séverine Tales est une suite de saynètes à chutes qui, je dois le confesser, m'ont souvent attiré une éclat de rire. Beaucoup d'humour donc, d'auto-dérision avant tout et pas mal de légèreté malgré les remarques sexistes et homophobes. Tout chez l'autrice est prétexte à rire : les remarques concernant leur couple, leur manière d'élever leurs enfants -la fameuse éducation positive- qui surprend -c'est un euphémisme- sa mère plutôt adepte d'un cadre plus strict, les blagues des enfants, leurs bons mots ou leurs vacheries entre eux et parfois contre leurs mères. Bref, tout y passe et l'on est, comme le titre l'indique, tout à fait dans une chronique familiale ordinaire. Le fait qu'elles soient deux femmes n'a pas plus d'importance que le fait d'avoir trois enfants dont des jumeaux. A ce propos, ils sont hilarants, mais je n'aurais sans doute pas aimé les avoir à la maison, ils sont également fatigants. Mais j'ai ri et même partagé quelques dessins pour faire rire.
J'aime beaucoup cet album, qui tranche par un dessin original -l'autrice dirait malhabile- dans lequel par exemple seuls les contours des visages sont exprimés -peut-être une difficulté à faire le reste ? Les décors y sont minimalistes. en fait, c'est le mot c'est de la BD minimaliste avec des textes décalés et drôles. Très réussi.
Si vous aussi vous voulez rire, lisez cet album et rendez vous sur le compte Instagram de Séverine tales, elle partage plein de dessins.
Originaire de Cap-Breton, une île de Nouvelle-Écosse à l'est du Canada, l'un des coins les plus pauvres du pays, Kate, part travailler à l'ouest, là où l'on extrait le pétrole des sables bitumeux. Elle n'a pas le choix, elle doit gagner de l'argent pour rembourser son prêt étudiant.
Elle se retrouve dans un univers très masculin, sexiste, machiste. Les remarques, la drague plus que lourde, le harcèlement sont son quotidien.
Très gros roman graphique dans lequel Kate Beaton raconte son parcours : elle arrête ses études à 21 ans et se retrouve dans ce monde inconnu et brutal. J'ai beaucoup appris sur les sables bitumeux, je n'y connaissais rien. Extraction particulièrement anti-écologique, qui empoisonne les populations autochtones sans aucun scrupule, par profit. J'ai aussi appris sur la dure vie des gens qui bossent dans ces mines : des longues, très longues journées, du repos qui ne permet pas de rentrer chez soi, car beaucoup de travailleurs viennent de l'est du Canada. Ils restent donc sur place, ne voient que rarement leurs familles.
Kate Beaton raconte le harcèlement quotidien, qui commence par des petits noms dont certains l'affublent, puis par des remarques, des réflexions, des allusions voire carrément des demandes directes "Tu baises ?". Être une femme dans ce milieu est éprouvant d'abord parce que le travail l'est et ensuite parce qu'il faut subir tout cela et être constamment en alerte. Toujours s'opposer est exténuant, donc, elles laissent passer, laissant la porte entrouverte à des brutes qui la poussent violemment.
Malgré le thème difficile, le dessin de Kate Beaton est doux, dans les tons gris-bleutés, bicolores, mais aussi dans les traits de ses personnages. L'autrice n'est pas manichéenne, elle ne dit pas que tous les hommes l'ont harcelée ou embêtée, elle s'est très bien entendu avec certains qui ont su l'écouter, la soutenir. La dureté du travail, l'éloignement des familles, la connerie humaine peut expliquer sans excuser le comportement de certains, c'est une des théories qu'avance Kate pour tenter de vivre normalement. Elle témoigne dans cet album très fort de deux ans de sa vie (entre 2005 et 2008), de deux ans de souffrances au travail, celle qu'elle a vécu et celle dont elle a été le témoin.
Il paraîtrait que ce serait le roman graphique préféré de Barack Obama en 2022, je ne sais pas si c'est un critère qui fait vendre, mais force est de constater que cet homme à bon goût. 435 pages passionnantes, édifiantes et un peu flippantes quand même sur le comportement de certains hommes, sur ce qu'ils se permettent vis-à-vis des femmes, simplement parce qu'elle sont femmes. "Un témoignage rare, porté par une voix profonde" (4ème de couverture). Absolument !
Très tenté par ce roman et à la fois sur la réserve tant je ne suis pas attiré par le monde médical, je me suis fait totalement prendre et, heureusement qu'il est court, parce que je n'ai pas pu le lâcher. Tout d'abord et avant tout, j'ai beaucoup aimé l'écriture de Jessica Knossow, sèche, directe. Phrases courtes ou phrases longues très ponctuées, style rapide qui va au plus court : "Les urgences de la Pitié. Pleines. Pléonasme. Ici, la grande salle des urgences, on l'appelle la "Cour des miracles". A cause du monde, à cause du bruit. Mais les miracles, à l'hôpital, je n'en ai jamais vu. Ni ici ni ailleurs. Tous jouaient leur peau, tous voulaient survivre. Les patients à la maladie, les soignants à la nuit." (p.25) On est avec elle dans l'urgence, dans les journées à rallonge, les lieux parfois sordides, et elle nous y aide même avec un plan annoté de sa main (l'organigramme du service de chirurgie viscérale est drôle, dans l'image et dans la description)
Les lieux et l'état de l'hôpital en général sont au centre du livre : l'autrice parle des services qui perdent de l'argent, car les opérations ne sont pas rentables dixit M. Chiffre qui mène un audit. Le mot d'ordre est l'argent : travailler mieux pour moins cher. Optimiser, comme si la santé avait un prix... "Le pire, c'est que bientôt, on va trier les patients : rentable, pas rentable..." (p.94) fait-elle dire à l'un des médecins. Et l'hôpital prend l'eau, soignants et soignés s'y noient. Et l'on a bien vu comment la crise COVID a exacerbé les difficultés et les manques de moyens. La santé est devenu un bien comme un autre.
Et puis il y a Emmanuelle, qui sacrifie tout à son ambition, qui veut absolument réussir, être reconnue de ses pairs. R. est celui qui le lui permettra. Une jeune femme forte qui doit s'imposer. Elle doute, elle a peur même lors de ses premières consultations "Pourtant j'avais la théorie avec moi, je connaissais par cœur les indications chirurgicales, les risques de complications, j'avais la tête pleine d'organigrammes, de diagrammes, de cases, de listes, de tableaux, de flèches, mais ces connaissances ne parvenaient pas à m'apaiser -et pour cause : les patients ne rentraient dans aucune case." (p.78)
Ce très beau roman, très équilibré, se lit d'une traite. Il m'a bluffé de bout en bout par sa concision et sa précision, j'allais écrire chirurgicale, son rythme. Il décrit les conditions de travail du personnel médical et donc d'accueil des patients, la dégradation d'icelles pour cause de rentabilité exigée en haut lieu et un très beau portrait de femme. Bref, un excellent roman pour lequel ma recension est sans doute un peu confuse tant j'ai l'impression de n'avoir dit que la moitié de ce que j'avais à en dire.
Ce tome 2 de la série Les âmes noires de Saint-Malo, à la très belle couverture met en scène et implante davantage le trio de policiers au sein de Saint-Malo. L'on arpente les rues de la ville et de ses alentours, l'on visite les tavernes, les débits de boissons, les lieux de débauche, mais aussi les landes, les marais, au fil d'une plume très documentée. Cela pour le contexte géographique. Pour l'historique, force est de dire que pareillement, l'auteur est fort bien documenté et qu'il sait faire vivre aux lecteurs l'époque troublée : "Louis Darcourt avait connu la Monarchie royale, la République révolutionnaire avec la Constituante, la Législative, la Convention, le Directoire, le Consulat et désormais l'Empire, il fallait s'adapter, il s'adaptera." (p.28/29)
Et puis, il y a les intrigues qui vont contraindre l'équipe à remonter le temps d'une dizaine d'années et se replonger dans la triste époque de la Terreur, celle où les exécutions étaient courantes, qu'elles rougissaient le Sillon de Saint-Malo. Époque à laquelle Justine, la sœur de Louis a disparu et qu'il a toujours espoir de retrouver, espoir en berne lorsque le squelette retrouvé pourrait correspondre à Justine.
Hugo Buan a bâti une équipe de policiers pas banale, entre Louis, un orphelin (parents guillotinés en 1794) recueilli et adopté par un aristocrate et revenu incognito dans sa ville de naissance, Joseph, un mulâtre de l'ex-île Bourbon et Henri avant d'être policier, surtout connu pour ses combines. Et surtout, sur des intrigues et des bases historiques et géographiques sérieuses, il écrit un polar décalé empli d'humour, notamment dans les dialogues et en particulier lorsque Louis interroge des témoins, notamment une prostituée :
"- Non... Il s'est jeté dans son puits à Saint-Coulomb ! Tout le monde pensait que c'était impossible à cause de ses cornes... Rapport à la largeur du puits, vous comprenez ? minauda-t-elle.
- Madame Malavoine n'était pas très fidèle ?
- Pas fidèle du tout ! C'est le genre de femme qui enlève le pain de la bouche des filles comme nous.
- Je vois... C'est une sorte de concurrence déloyale.
- A ce niveau-là, ç'n'est plus de la concurrence, c'est de l'acharnement !" (p.291)
Bref, ce fut donc un vrai plaisir que de retrouver le trio de policier de Saint-Malo, de s'instruire, car Hugo Buan raconte l'histoire de la Bretagne, tout en souriant aux réparties et aux sarcasmes voire à l'ironie des uns et des autres. Si j'étais de nature impatiente, je crierais : "Vite, la suite !... ", mais je me contenterai de dire très fort : "La suite, vite !"
Excellent polar dans lequel Gérard Lecas décrit une ambiance lourde : tous les coups sont permis, les malfrats et les parrains locaux font feu de tout bois pour garder voire augmenter leur empire. La politique, la mairie notamment dirigée par l'ancien résistant Gaston Defferre, n'est pas exempte d'accointances avec le milieu. Plus les actions de l'OAS qui n'accepte pas l'indépendance de l'Algérie, le SAC qui s'immisce dans les différents combats pour discréditer certains, bref Marseille est un panier de crabes venimeux dans lequel le moindre geste est interprété comme une agression. C'est donc lourd, mais jamais le lecteur n'est perdu, car l'auteur explique les rôles des uns et des autres ; personne n'est épargné, ni les parrains de la pègre, ni les politiques mouillés jusqu'au cou voire davantage, ni les communistes encore assez forts mais qui ne supportent que l'un de leurs ne suivent pas la ligne du parti... Le contexte étant posé, il va falloir une intrigue forte pour qu'elle ne s'y noie pas.
Et Gérard Lecas la trouve : le meurtre des deux Algériens, totalement vidés de leur sang et l'enquête menée par deux flics aux idées opposées. Molinari résistant décoré, membre du SAC qui doit rendre quelques services à des hauts placés en guise de remerciement et Anthureau, fils de résistants communistes, lui même adhérent du parti, orphelin de père depuis ses quatorze ans et sans nouvelle de sa mère depuis. C'est électrique entre les deux hommes et l'enquête poussera chacun des deux à s'interroger sur leur passé et leur avenir. Ils devront faire face à leurs démons, à leurs doutes, leurs craintes...
Du polar, du bon, du qui tient la route, du consistant tant dans l'intrigue que dans le contexte, du qui ne déçoit pas bien au contraire !