Albertine

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Sous le pseudonyme d'Albertine, hommage à Marcel Proust, se dissimule une Joëlle passionnée de lecture depuis l'enfance. Mon appétit d'ogresse pour les mots, les histoires, les voyages à travers les pages ne s'est pas atténué avec les années. Je marche au coup de cœur, guidée par ma curiosité qui m'incite toujours à découvrir de nouveaux écrivains, à explorer de nouveaux genres. Je navigue entre romans policiers, fresques historiques, livres feel-good et essais sur l'actualité, au gré de mes humeurs et des rencontres avec certains auteurs. Participer à Dialogues Croisés, c'est partager ce bonheur de lire et avoir l'opportunité de mettre dans la lumière des « pépites » littéraires.

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19 mars 2016

Je me fais des films...

Ma propension à lire trop vite et à m'enballer pour les couvertures m'amène parfois à me faire des films qui nuisent au livre choisi. Pour le roman de Sylvie Gibert, j'ai réussi à cumuler une erreur sur le titre et une interprétation de la couverture qui s'est avérée fausse. Dans un premier temps, j'avais retenu que l'histoire mettait en scène une jeune femme peintre (jusque là pas d'erreur) mais je la voyais peignant dans un atelier avec des POISSONS. Immédiatement, mon cerveau en mode google a imprimé sur ma rétine ce tableau de Matisse : "Les poissons rouges".
Me voilà déjà embarquée pour un récit "méditerranéen" avec chaleur, couleurs et accent. Sylvie Gibert nous amène à Paris durant l'hiver 1880 qui fut d'une rigueur extrême et transforma la Seine en patinoire. Au temps pour moi...

Une fois l'erreur rectifiée, le bleu glacé de la couverture, cette jupe entraperçue, cette main tenant un bocal plein de pinceaux me précipita dans un univers vénéneux où les intrigues et les faux-semblants se joueraient dans une ambiance de clair-obscur. Les POISONS y régneraient en maître comme la traîtrise dans les coeurs. Au temps pour moi, ce roman, plutôt réaliste, a une héroïne solaire, Zélie Murineau et s'il y a bien des affaires liées à des poisons, elles n'ont pas l'aspect maléfique que mon esprit leur avait accordé.

Cette série de faux départs a contribué à rendre le début de ma lecture laborieux. Le roman ne répondait pas à mes attentes imaginaires. Par la suite, je me suis laissée entraîner à la suite de Zélie et j'ai pénétré avec elle à l'Académie Julian, premier atelier à ouvrir ses portes aux femmes. Le lecteur découvre les condisciplines de Zélie, les petites brouilles et les rivalités au sein du groupe de jeunes filles, leur envie de voir leur talent reconnu et leurs tableaux exposés au Salon, celui qui sacre à l'époque les tenants de l'Académisme et oblige les Impressionnistes à créer le Salon des Refusés.

Zélie est talentueuse mais les études à l'Académie coûtent cher et elle a commis un délit pour financer celles-ci. Elle se demande si sa rencontre, au jardin des Tuileries, avec Alexandre d'Arbourg, commissaire au Palais-Royal, est bien le fruit du hasard. Très rapidement, il lui demande de réaliser le portrait de sa filleule mais aussi d'enquêter discrètement dans la maison où il va l'introduire. Quelqu'un aurait tenté d'empoisonner le maître des lieux. Zélie n'ose pas refuser cette étrange requête car elle pense que le policier, aussi charmant que mystérieux, connaît son secret.

Le duo ainsi constitué va nous balader des beaux quartiers de la capitale aux petites villes de sa périphérie beaucoup moins reluisantes. Leur "singularité" dans une société extrêmement normée va les rapprocher. Le sens de l'observation de la jeune peintre, la compréhension fine de l'âme humaine du commissaire vont se compléter et leur permettre d'élucider une histoire de poison dans une maison bourgeoise mais aussi une autre à beaucoup plus grande échelle.

Le roman est plaisant mais il y manque le petit quelque chose qui rendrait Zélie inoubliable. Elle n'a pas l'envergure, la fougue, l'humour de Hazel, l'un des personnages de Anne Percin dans Les Singuliers.

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2 mars 2016

Toute résistance est inutile...

Le dernier roman d'Isabelle Coudrier m'intriguait. Les articles de Clara et de Cuné avaient fait émerger du flot des nouveautés de janvier ce Babybatch au titre énigmatique. Rien pourtant n'était gagné, je lis assez peu de romans français, je ne connaissais pas l'auteure et Cuné signalait des imparfaits du subjonctif, merveilleux quand ils sont utilisés au service de l'élégance d'un style, calamiteux quand le lecteur a le sentiment que l'écrivain en joue comme un paon de ses plumes, pour l'épate.

Rapidement toute résistance a été inutile ! J'ai été emportée par Dominique, quinze ans à fleur de peau, bonne élève de Seconde, qui devient presque malgré elle une fan de l'acteur Benedict Cumberbatch. Babybatch est l'un des surnoms que les "cumberbitches" (ou plus politiquement correct les "cumberladies") donnent à l'homme qui incarne Sherlock dans une série qui transporte le célèbre détective à notre époque. Un rapide tour sur Internet m'a permis, au début de ma lecture, de constater que l'auteure mêlait fiction et réalité, Benedict Cumberbatch existe bien, de même que la série et, tous les éléments de sa vie utilisés dans le roman sont authentiques. (Non, rassurez-vous, je ne vis pas dans une cabane au fond des bois façon Thoreau mais je ne regarde que très peu la télévision et ne fréquente pas beaucoup les salles de cinéma.)

Dominique est à cet âge fragile où l'on brûle d'envie de sortir du cocon familial mais cette envie est freinée par la peur d'un monde qui semble brutal et effrayant. Elle est fille unique et vit entourée par ses parents et ses deux chats Petit Biscuit et Boudoir. Sa meilleure amie depuis la maternelle, c'est Muriel, issue d'un milieu sans doute moins favorisé, moins bonne élève, mais ces différences n'affectent en rien le sentiment qui les lie.

L'entrée au lycée modifie cet ordre des choses, rassurant car il semble immuable, ennuyeux aussi pour la même raison. L'adolescente ressent comme un vide à l'intérieur, qu'elle va combler par le "culte" voué à Babybatch. Dominique, très à l'écoute des autres, souffre de voir son professeur d'Anglais chahuté, malmené. Elle ne comprend pas non plus pourquoi Muriel s'éloigne d'elle ni pourquoi on découvre chez un garçon de sa classe un emphysème, une maladie de "vieux". Son "cocon" se fissure mais heureusement elle a son "babybatch"qui la console de tout.

Dès qu'elle a un moment de libre, elle se connecte sur Internet pour dénicher les derniers faits et gestes de son idole. Elle participe à des forums, songe même un instant à acheter un album de coloriage avec uniquement des dessins représentant l'acteur (l'objet permet la "création léthargique" : j'ai fait mon miel de cette expression !). Elle se lie avec Rachel, une trentenaire, une boss dans le domaine informatique, pétrie de contradictions comme nombre des fans de Benedict Cumberbatch. Rachel se veut critique par rapport au comportement parfois outrancier des cumberbitches mais loue un appartement à Londres près de celui de l'acteur, dans l'espoir de le croiser, un jour, faussement par hasard.

Isabelle Coudrier brosse le portrait sensible et émouvant d'une jeune fille, écorchée par un monde qui râpe et qui écorche. Elle trouve refuge dans un amour "virtuel" jusqu'au moment où elle décide d'agir "in real life", d'assister au Barbican à Londres à la prestation de Cumberbatch dans Hamlet. La fin est magnifique, la littérature se confondant à la vie dans une langue extrêmement maîtrisée, précise et précieuse.

Un coup de cœur !

Un enquête de l'inspecteur McLean

Bragelonne

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26 février 2016

Un bon page-turner !

Une adaptation pour la télévision des deux tomes mettant en scène l'inspecteur McLean se ferait sans problème tant le récit est déjà "cinématographique", dans la lignée des enquêtes de Vera Stanhope (excellente série britannique).

Le livre des âmes est le deuxième tome mais il peut se lire indépendamment du premier. Il nous embarque pour l'Ecosse, à Edimbourg, quelques jours avant Noël. Pluies glacées, brouillard, la météo est aussi sombre que l'humeur de Tony McLean. Il vient d'apprendre la mort en prison du Tueur de Noël. Cet homme a été condamné douze ans plus tôt pour le meurtre de dix femmes, une par an, selon un mode opératoire aussi rituel que cruel. La dernière victime d'Anderson a été la fiancée de l'inspecteur et même s'il a contribué à l'arrestation de ce dernier, la perte de la femme aimée reste pour lui une blessure ouverte et la période des fêtes un moment douloureux à passer.

Nous le retrouvons bien occupé par une série d'incendies criminels qui visent d'anciennes manufactures sur le point d'être réhabilitées, ainsi que par une collaboration avec les Stups pour démanteler une filière. James Oswald a su créer autour de l'inspecteur une équipe sympathique, du vieux de la vieille aux frais émoulus de l'école. McLean se prend régulièrement le bec avec l'inspecteur-chef Duguid (alias Dugland) et les deux "coqs " se font rappeler à l'ordre plus souvent qu'il ne faudrait par leur supérieure hiérarchique Jayne McIntyre.

Anderson est bien mort et enterré, McLean a assisté à son enterrement dans l'objectif de tourner la page. Mais un copycat semble avoir pris le relais, des jeunes femmes disparaissent et sont retrouvées, mortes, nues, dans des cours d'eau. Le cauchemar recommence et l'inspecteur revit des moments qu'il aurait voulu enfouir à jamais dans sa mémoire. Il se voit dans l'obligation de suivre des séances avec un psy pour gérer cette situation traumatisante et râle car elles le ralentissent dans sa course contre la montre avec un tueur qui multiplie les enlèvements.

Au centre de l'histoire, un livre des âmes, dicté selon la légende par le Malin. Anderson lui a attribué la responsabilité de ses agissements. Son émule semble lui aussi sous la coupe de ce manuscrit que l'on ne lit pas mais qui déchiffre les âmes et manipule celles qui ne sont pas pures. Un soupçon de fantastique dans un récit par ailleurs assez réaliste.

Ce roman policier est un bon page-turner, qui vaut surtout par les personnages et l'ambiance d'Edimbourg l'hiver.

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24 février 2016

Les montagnes russes

La lecture de ce roman s'apparente vraiment aux montagnes russes, j'ai adoré certains passages et d'autres m'ont agacée ou énervée.

La couverture que je trouve merveilleuse nous montre une vieille dame au corps et au visage transformés par le temps mais belle dans sa robe fleurie et dans son abandon gourmand à la caresse du soleil. L'héroïne ne ressemble pas à cette femme. Judith Hogen, toute nouvelle septuagénaire new-yorkaise, ancienne comédienne de théâtre, vit difficilement son veuvage et n'a pas la vitalité et l'excentricité de Janet Shebabi, sa pétillante voisine. Au début de l'histoire, elle doit aller récupérer celle-ci au commissariat pour le vol de cinq boîtes de crème de marron. Janet explique son geste par l'adrénaline généré par le risque et la sensation alors de se sentir vivante.
Judith s'interroge beaucoup sur le "statut" réservé aux personnes âgées, trop souvent infantilisées à son goût.Elle nous raconte avec un humour grinçant une excursion de deux jours à laquelle sa voisine l'a convaincue de l'accompagner. Un car rempli de "vieux" en tenues confort, une guide qui les traite comme des ados en colo et point d'orgue, la visite d'une usine de glaces où le "troupeau" est invité à s'extasier et à consommer. Elle a la dent dure envers ses congénaires et lutte pour ne pas être fondue dans la masse des "Damart". Elle s'efforce à tout prix d'échapper à la malédiction de l'âge qui semble rendre transparents les anciens, plus personne ne les regarde vraiment, plus personne ne s'intéresse à eux et ne les considère comme des humains encore sensibles aux émotions.

Un soir, allongée sur son canapé, sa main heurte quelque chose : un livre. Il s'agit de "Voyage au bout de la nuit" de Céline, un roman que Herb, son défunt mari semble lui avoir laissé comme ultime conseil car elle trouve à l'intérieur une photo. Cette photo est un portrait de son frère, prise cinquante ans plus tôt, ce frère qu'elle s'est jurée de bannir de son existence, de même que sa mère et sa terre natale la France depuis 1968 et sa fuite pour les Etats-Unis. Judith les a laissés derrière elle, incapable de leur pardonner leur attitude l'année de ses 17 ans quand elle s'est affranchie, par amour, des préjugés de la société.

L'heure serait-elle au pardon, à la réconciliation ? Elle va entreprendre un voyage dans le temps et dans l'espace. Revenir sur les lieux du "crime" et voir s'il subsiste quelque chose de son extraordinaire complicité avec son frère. Judith "l'Américaine de coeur" prend son billet pour la France et se met en quête de sa famille quittée il y a si longtemps...

J'ai été emballée par le début du roman, le duo Judith/Janet pétille et les réflexions sur la vieillesse, si elles sont souvent tristes, ne tombent pas dans le cliché. Petit à petit, Judith m'a agacée à toujours loger les "vieux" à la même enseigne, comme si elle et Janet étaient les seules à entrer en résistance. Elle porte sur eux un jugement semblable à celui qu'elle reproche aux plus jeunes. Elle ne les envisage plus dans leur singularité mais les met tous dans le même panier.

Le voyage en France, son arrivée à Grasse où réside son frère, s'étirent en longueur. Elle fait la connaissance de sa nièce qui finit par lui avouer que son père a disparu. Judith va donc patienter dans le petit studio qu'elle a loué et si les journées lui semblent longues, c'est le même sentiment pour le lecteur. De plus, j'ai trouvé cette péripérie, la disparition, un peu facile, voire artificielle. Symbolise-t-elle l'impossibilité de renouer avec le passé, de réparer les blessures anciennes ? J'aurais préféré que Judith soit confrontée à son frère.

Le style aussi m'a déconcertée. Certaines phrases, certaines pages m'ont touchée au coeur par leur justesse, par une utilisation des mots d'une grande intelligence. A d'autres moments, je me suis énervée devant des tournures "précieuses", des subjonctifs "m'as-tu vu" qui ne semblaient avoir comme raison d'être que de montrer la parfaite maîtrise de langage de l'auteure.

Au final, un livre intéressant, inégal selon moi, mais qui mérite amplement le détour.

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15 février 2016

Miroir, mon beau miroir...

L'article de Clara m'avait rendue curieuse mais ce n'est pas sans une certaine appréhension que j'ai commencé le dernier livre de Camille Laurens. Je suis fâchée avec "L'autofiction" et ne me suis toujours pas décidée à acheter "D'après une histoire vraie" de Delphine de Vigan. Le pari était donc risqué... mais gagné. J'ai beaucoup aimé ce roman, exercice littéraire parfois déroutant, empreint cependant d'une réflexion sensible sur la place des femmes qui prennent de l'âge dans notre société.

La narratrice ou plutôt les narratrices parlent de ce miroir qu'elles contemplent sans cesse pour savoir si elles sont encore désirables. L'angoisse terrible qui suinte de chaque page est le sort réservé aux femmes qui abordent le rivage de la cinquantaine, surtout quand toute leur vie, elles n'ont pu se sentir vivantes que sous le regard appréciateur des hommes.

" Je porte plainte, je signale ma disparition. Prenez acte de ma mort, fût-ce à la rubrique "Faits divers". Car disparaître de son vivant est une épreuve. On se fond dans le décor, on devient une silhouette, puis rien."

Une des premières narratrices est Claire, une femme mûre, internée depuis quelques années. Elle raconte, se raconte à un psychiatre. Elle ose dire son amour pour un homme plus jeune, Jo, qui s'est amusée avec elle comme un chat avec une souris. C'est si facile de déstabiliser "une vieille" ! Pour pouvoir "espionner" son amant, elle devient amie sur Facebook avec Chris, le colocataire de Jo. Bien évidemment, elle avance masquée, sous une nouvelle identité, plus jeune, plus attrayante, modelant son personnage au goût de KissChris. Petit à petit, elle est prise à son propre jeu et ce "marivaudage" moderne composé de "J'aime", de commentaires et de messages en Mode Privé finit par empiéter sur sa vraie vie. Cette relation virtuelle, cette incapacité à redevenir ce qu'elle n'est plus, une jeune fille de 24 ans, la mène à une tentative désespérée pour faire coïncider rêve et réalité. Seulement, le miroir est impitoyable, il révèle les rides derrière le fard et Claire perd la raison...

Camille Laurens,en virtuose de la langue, multiplie les récits, comme les multiples facettes d'un miroir éclaté : enregistrement audio d'une déposition à la gendarmerie, entretiens avec un psychiatre, histoire écrite lors d'un atelier à la clinique, brouillon d'une lettre que Camille L. écrit à son éditeur... Elle multiplie les identités : Claire Millecam, Claire Antunès, Camille Laurens pour mieux nous parler des relations amoureuses, de flirt à l'époque d'Internet, du désir qui devrait se tarir quand les femmes vieillissent.

Elle mélange les registres de langue, des blagues salaces aux références à Marivaux, un subtil écheveau que le lecteur prend plaisir à démêler. Son goût pour les mots l'emporte peut-être à certains moments trop loin, comme une machine qui tournerait à vide pour le seul plaisir de tourner.

J'ai adoré la toute fin qui a un aspect "Et à la fin de l'envoi, je touche"qui m'a fait murmurer : Bien joué !

Un coup de cœur !

(et c'est un roman français. C'est assez rare sur mon blog pour que je le signale !)