Prof

Pourquoi, en tant que journaliste, devenir prof ? Avant de devenir journaliste
indépendante, Anna Benjamin a travaillé durant quatre ans à L’Express, en tant
que spécialiste éducation. Elle a interviewé des profs, des chefs
d’établissement, des syndicalistes, des élèves, des parents, des chercheurs et
participé à alimenter cette fournaise d’informations touchant à l’école.
Cependant, lorsqu’elle a souhaité aller sur le terrain, munie d’une
autorisation du ministère, son reportage le plus long au sein d’un
établissement scolaire n’avait pas dépassé une journée. Comment aller plus
loin ? Comment raconter cette réalité qui se dessine au fil des ans et des
rapports : le métier de prof subit une profonde perte d’attractivité, le
niveau général des élèves ne cesse de baisser, les inégalités entre les zones
géographiques populaires et riches se creusent… Dans un rapport du Conseil
national d’évaluation du système scolaire de 2016, Anna Benjamin est frappée
par quelques phrases : « Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités ? »
Pourquoi, dans des zones d’éducation prioritaire, observe-t-on « des
enseignants plus souvent absents » ; « qui restent moins longtemps » ; un «
recours aux enseignants non titulaires plus fréquent » ? Vient à Anna Benjamin
une idée folle. On manque de profs un peu partout, pourquoi ne pas saisir la
balle au bond ? Le statut de contractuel sera sa porte d’entrée dans le
métier, il lui permet de cibler l’académie de son choix. Après un entretien de
trente minutes, sans la moindre formation, Anna Benjamin atterrit dans un
collège favorisé, puis dans un collège classé REP+. Dans le quartier où son
second établissement est implanté, la moyenne d’obtention du Bac est de 27%,
contre 70% au niveau national. Débute alors un métier multifacettes de “psy,
flic, assistante sociale et prof”, résumera un collègue. Anna théorise aussi
le “syndrome Pétronille”, ou comment enseigner au collège revient à avoir la
charge mentale d’une mère de 120 enfants ; elle expérimente moult stratégies
pour “tenir sa classe” et éviter de se faire “bordéliser” ; elle est
confrontée à la violence subie ou générée par certains élèves ; doit faire
avec des situations comme celle de Sofia, première de sa classe et qui n’a pas
de logement… Un autre monde s’ouvre sous ses pieds. Et au fil de son
immersion, sans prévenir, le métier de prof s’infiltré en elle. Son immersion
s’est faite sans changer son CV, sans changer son identité. C’est avant tout
une histoire, une aventure humaine. Anna Benjamin avait toujours un peu rêvé
d’être prof, c’est donc pleine de bonne volonté qu’elle a commencé à préparer
ses cours. Elle s’est fait une seule promesse : quoi qu’il arrive, elle
racontera tout. Anna Benjamin est journaliste indépendante et autrice. Elle
travaille pour l’émission Les Pieds sur Terre de France Culture et le
quotidien Libération et le magazine Pour l’Eco. Elle a été rédactrice pour les
rubriques Éducation et Société de L’Express pendant quatre ans. Avant cela,
elle a travaillé au Monde puis à LCI. En 2015, elle réalise un documentaire
télévisuel pour la chaîne Toute l’Histoire : Turquie, l’Héritage du Silence,
puis en 2016, un documentaire sonore, Red Star, un club de foot populaire,
pour l’émission Sur les Docks de France Culture.

*[apr. J.-C.]: après Jésus-Christ