Le vivant est-il gouvernable, Le politique à l'épreuve d'un monde saturé de traces
EAN13
9782815956185
Éditeur
Editions de l'Aube
Date de publication
Collection
Monde en cours - Essais
Langue
français
Fiches UNIMARC
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Le vivant est-il gouvernable

Le politique à l'épreuve d'un monde saturé de traces

Editions de l'Aube

Monde en cours - Essais

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Le livre s’ouvre sur une description du tableau Les ambassadeurs (1533), de
Hans Holbein le Jeune avec une attention particulière portée à sa célèbre
anamorphose dont le message constitue un « aveu visuel » universel : aucun
savoir ni aucun pouvoir ne permettront jamais à l’homme d’échapper à la mort,
bien que cet état ne soit qu’un passage vers autre chose. Tributaire de la
position du spectateur face à l’œuvre, le dévoilement de l’anamorphose renvoie
à la place que chacun occupe ou souhaite occuper, autant dans la société que
dans le rapport avec soi-même. Fondée sur cette allégorie, l’idée maîtresse de
l’ouvrage consiste à montrer que les controverses autour de ce que la société
définit comme faisant « trace », mobilisent invariablement les ressorts du
sacré et du profane. Toute divergence interprétative autour des traces
constitue la réplication de l’angoisse profonde et universelle de la mort
puisque se rejoue à la fois le rapport de chacun aux êtres et aux choses, la
manière d’administrer la société et de l’harmoniser. Aujourd’hui, l’économie
générale de la trace a considérablement évolué depuis l’avènement du web. Dans
une société sur-saturée de signes, les passions démocratiques se destinent-
elles à devenir incontrôlables ? Ce livre propose une typologie opératoire des
traces afin d’évaluer leur puissance sociale de frappe. Les temps présents
sont marqués par une infinité de manières d’identifier « ce qui fait trace »,
de raconter en quoi elles peuvent être « préoccupantes », et ce qui se situe
au fondement de leur consistance. De l’alchimie du siècle des Lumières à la
gestion tourmentée de la pandémie de Covid-19, ce livre explore les
contradictions d’une parole publique relative aux interventions humaines sur
le monde vivant en prenant appui sur les disputes liées aux traces biologiques
et organiques. Pris dans ces récits, des éléments du monde vivant sont
brutalement rendus visibles dans l’espace public à travers leurs « signes »
discrets qui renvoient, au gré des interprétations, à une expression
pathologique : intentionnalité maléfique, faute mercantile, écart à la nature,
ou « tentation » des sens. Il peut aussi s’agir d’une puissance curative,
d’une résilience vitale face à la pesanteur organique du corps jusqu’à la
perspective de la nuit éternelle... Les controverses interprétatives reflètent
ainsi la diversité des manières de revendiquer sa place dans le monde vivant
et d’établir un périmètre de gouvernance autour des êtres et des choses. Cela
revient à se positionner vis-à-vis d’une autorité supérieure, que celle-ci
soit temporelle ou spirituelle. C’est pourquoi les divergences interprétatives
sont susceptibles d’être extrêmement violentes au point de susciter des
passions politiques difficiles, voire impossible à juguler. La première partie
de l’ouvrage rend compte de la focale d’analyse qui porte sur la matière
vivante. Indépendante de la notion de peuple jusqu’aux Lumières, la gestion de
cette matière devient ensuite un sujet politique au cœur de l’évolution des
populations humaines. Dès lors, les « traces » liées à la matière vivante
renvoient à des luttes implicites sur la manière d’articuler le pouvoir
politique à l’aléa biologique. En filigrane, c’est la manière de faire
société, d’en tracer les contours et de la représenter qui est en jeu. La
trace peut révéler une tension dans une des quatre figurations ontologiques de
la société et sa signification est également influencée par la représentation
culturelle dominante de l’ordre naturel. La trace peut être analysée comme une
défaillance du système de représentation. À partir des ontologies proposées
par Descola, quatre grilles de lecture du monde peuvent être dégagés,
assignant à la trace une fonction différente dans la composition de la société
(ontologie naturaliste ou la trace comme imprécision ; ontologie animiste ou
la trace comme commutateur ; ontologie totémiste ou la trace comme
incorporation ; ontologie analogique ou la trace comme connecteur). La trace
révèle ainsi des liens sociaux cachés, des similitudes, des appartenances ou,
au contraire, renvoyer à un déficit d’informations. La diversité des manières
de « faire société » n’est pas séparable de la façon dont la nature est elle-
même représentée. Trois systèmes culturels possibles de représentation de
l’ordre naturel (hippocratique, classificatoire, clinique) sont proposés à
partir de l’histoire de la pensée médicale. Selon la référence adoptée, les «
maux » biologiques ne sont pas envisagés de la même façon, ni avec la même
amplitude. Aussi, la fréquence d’établissement de traces suspectes et leur
localisation diffèrent selon l’ordre naturel considéré. La dernière partie de
l’ouvrage est de facture plus analytique. Une typologie opératoire des traces
est proposée afin de mettre en évidence les formes de tensions politiques
sous-jacentes à cette multitude de qualifications. Pour cela, un inventaire
des quatre piliers du régime de la trace (matériel, temporel, actantiel et
symbolique) est dressé, leurs caractéristiques sont précisées. Chaque pilier
est structuré autour d’un couple d’oppositions, ce qui aboutit à une typologie
de seize types de trace (Artefact, Faibles doses, Empreinte, Mesure ;
Souvenir, Traumatisme, Apparition, Avertissement ; Phénomène, Dessein,
Contingence, Intention ; Menace, Equilibre, Tromperie,
Complotisme/Superstition). Les différents quadrants font l’objet d’une analyse
complète mettant en évidence le lien entre les caractéristiques inhérentes aux
traces qui fondent leur diversité, et les représentations culturelles qui y
sont rattachées. À partir de cette typologie, il devient possible d’établir
les types de trace, plus susceptibles que d’autres, de conduire à des
divergences interprétatives. Surtout, la nature des divergences peut être
évaluée, de même que leur puissance sociale de frappe. La conclusion souligne
la polarisation excessive des opinions publiques sur les traces. Avec les
progrès considérables dans la métrologie, la caractérisation des
environnements se veut de plus en plus fine et précise, si bien que les
univers perceptifs deviennent rapidement saturés. Tous les domaines du vivant
sont concernés par l’infobésité : la détection des sources de pollution, la
composition des aliments, le suivi des paramètres biologiques, les
possibilités de compiler les historiques de navigation en ligne, l’archéologie
de précision, ou encore, les progrès de l’imagerie spatiale remontant toujours
plus près des origines de l’univers. L’économie générale de la trace a donc
considérablement évolué depuis l’avènement du web. Si la quête
d’interprétation répond à la tentative d’épuiser le réel à travers sa
description, elle est surtout indissociable d’une production continue de
données depuis ces vingt dernières années, de l’extension des moyens de
collecte et de leur traitement, aboutissant à une surcharge informationnelle.
Sur-saturation de signes et balkanisation de la réalité : deux défis au cœur
de l’entreprise politique qui ne se réduiront probablement pas à un simple
murmure de la société. Dès lors, il convient de s’interroger sur la forme
sociale de ces probables débordements. En effet, la qualification de la trace
est, avant toute autre chose, la réplication de l’angoisse profonde et
universelle de la mort, puisque se rejoue à chaque fois, le rapport de chacun
aux êtres et aux choses, la manière d’administrer la société et de
l’harmoniser.
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