Mascarade

Gabriel Chevallier

Le Dilettante

  • Conseillé par
    26 décembre 2010

    Plus qu'un roman, Mascarade est un recueil de cinq longues nouvelles.

    La première, Crapouillot, se passe dans les tranchées pendant la Grande Guerre. Crapouillot est un colonel qui trouve que son unité, bien qu'elle soit au front, ne s'engage pas assez. Il n'aura de cesse de tenter des incursions en territoire ennemi, de faire des prisonniers. Inutile de dire que Crapouillot n'est pas en odeur de sainteté auprès des hommes de troupe. Dans cette nouvelle, Gabriel Chevalier décrit un univers qu'il connait bien puisqu'il a fait la guerre 14/18 ; il fait part des pensées des soldats confrontés aux désirs de victoire et d'avancement personnel de leurs chefs : "Nous, trouffions, n'y mettions pas de vanité, absolument aucune. Mais nous étions exactement placés aux endroits où des vanités supérieures se cherchaient et s'assenaient des arguments massues. Nous prenions les berlingots sur le porte-pipe. Les spectaculaires explosions, si plaisantes à observer à la jumelle, nous procuraient la sorte de malaise que peut éprouver un équipage "naviguant toutes voiles dehors avec le sacré vieux typhon qui pousse au cul du rafiot" (expression du sergent Legonnec)" (p.32). Ecrit dans un style oral, assez proche de celui de L-F Céline, c'est un petit roman rapide, qui, par son écriture et non pas par ce qu'il raconte, prête à sourire.


    La seconde, Tante Zoé, brosse le portrait d'une famille dont le père, Gilles Seringal, est fantasque. Toujours gai et entreprenant, il entraîne sa femme et ses enfants dans ses entreprises vouées à l'échec à peine mises en place. Les tantes de sa femme, vieilles, acariatres, envieuses et argentées ne l'aiment pas du tout et auraient aimé pour leur nièce un mariage plus en vue et plus tranquille, et un mari plus docile envers elles notamment. Tante Zoé déteste particulièrement Gilles Seringal. Lui, espère qu'elle décèdera vite, ainsi que les autres, pour hériter et se lancer dans d'autres aventures. Très drôle ce portrait de la vieille fille bigote, bourgeoise et coincée. Ecrit dans une langue beaucoup plus classique que Crapouillot, ce roman dont le narrateur est un fils de Gilles Seringal se déguste jusqu'à la dernière ligne.

    La troisième, Le perroquet, et la quatrième, Le sens interdit sont un peu similaires. Chacune raconte l'itinéraire, d'un homme que rien ne prédestinait à devenir un salaud. Le premier, Ernest Mourier tue une vieille femme pour lui voler ses économies. Il se "rachète" et devient un employé, un mari, un père et un citoyen exemplaires, juste avant la seconde guerre mondiale. Le second, J-M Dubois, à la sortie d'un séjour en prison, en 1941, devient un des rois du marché noir et se retrouve pris entre sa femme et sa maîtresse. Chacun d'eux, prendra des positions particulièrement détestables, mais plus par contrainte que par choix. Gabriel Chevalier fait une démonstration que l'on devient parfois autre chose que ce que l'on est vraiment ; que les circonstances influencent nos décisions les plus élémentaires et nos avis. Le parcours de deux salauds ordinaires.

    La cinquième, Le trésor, est l'histoire d'un vieil homme, qui au soir de sa vie, esseulé, décide de creuser un trou dans son jardin pour retrouver le trésor qu'il y a enfoui en 1910, soit 38 ans plus tôt. Ce trésor, légué par son père, il l'a enterré pour ne pas le dépenser ; depuis, toutes les décisions qu'il a prises l'ont été sachant qu'il avait sous les pieds de quoi faire face. Aujourd'hui, il veut le déterrer pour pouvoir en faire profiter deux de ses enfants, ceux qu'il préfère et qui ont le plus de diffcultés dans leurs vies. C'est, pour "le vieux", le moment de repenser à tout ce qu'a été sa vie : sa femme, ses maîtresses, ses enfants, la guerre (14/18), son entreprise, et puis son détachement de tout cela, brutalement lorsqu'il est entré dans la vieillesse : "Le vieux avait vécu dans la bousculade, incapable de choisir entre ce qui était valable ou pas, se laissant duper par des obligations futiles, des prétendus devoirs et des routines dévorantes. Bon époux, bon père, bon citoyen, bon officier, bon patron, et toute la ritournelle édifiante (avec ce qu'elle suppose d'hypocrisie) qui ferait l'objet du panégyrique sur sa tombe. Il s'était parfois mutilé au nom des ces stupidités." (p.263/264). Remarquablement écrite cette histoire tranche un peu sur les autres par sa profondeur visible, recherchée.

    Gabriel Chevalier, surtout connu pour son roman, Clochemerle (paru en 1934) fait un constat amer de la première moitié du vingtième siècle : "Le vieux se rappelait son orgueilleuse allégresse de jeune homme, qui avait le sentiment d'aller vers un avenir merveilleux, dans une grande fierté commune de tous les êtres vivants, d'accord pour ennoblir la condition humaine. Et il avait vu, en trente ans, la stupidité gâcher tout cela. Il avait vu reparaître la cruauté et la barbarie, munies d'instruments de destruction dont elles n'avaient encore jamais disposé dans l'histoire. Il avait vu les catastrophes se succéder, les rêves avorter, les massacres s'étendre à des continents entiers. [...] La civilisation avait levé le masque et montré son vrai visage : le sort des hommes, c'était toujours le chaos et l'épouvante.(p.265).

    Je n'avais jusqu'à ce jour rien lu de cet auteur, et je déplore mon inculture, car je viens de découvrir, quarante ans après sa mort (Gabriel Chevalier, 1895-1969) un très grand écrivain -on pourrait aujourd'hui lui reprocher un brin de sexisme, mais en 1948, la société n'était pas la même- qui maniait la langue française de manière admirable : Mascarade en est un bel exemple.